Entretien avec Pierre El Khoury, architecte et diplômé
de l'Ecole des Beaux Arts de Paris - mars 2003
Cette semaine First Lebanon est allé rencontrer
Monsieur Pierre El Khoury, diplômé de l'Ecole des Beaux Arts à
Paris avec les honneurs, « Prix du Meilleur Diplôme » en 1957.
Cet éminent architecte est par ailleurs membre de l'Association des Architectes
à Beyrouth depuis 1958 et à Paris depuis 1968, membre de l'Académie
d'Architecture de France depuis 1983, ministre des Travaux Publics, des Transports
et de l'Agriculture du gouvernement Libanais de 1982 à 1984.
Il nous est apparu pertinent de recueillir son avis sur l’architecture libanaise
dans un Beyrouth qui retrouve son lustre passé et de le faire réagir
sur de sujets plus préoccupants de l’actualité. First
Lebanon : Bonjour Monsieur El Khoury, à votre avis quelle place tient l'architecture
dans la vie de tous les jours ?
Pierre El Khoury : Elle est de plus en plus importante et cela où
que ce soit dans le monde, elle a un intérêt particulier en ce sens
qu’elle se reflète sur l’environnement dans lequel les gens
vivent et donc on peut le dire sur leur mental. |
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L’intérêt est donc, je le pense, grandissant d’autant
que les personnes sont d plus en plus sensibles à leur cadre de vie.
F.L : Quelle approche avez vous de l’architecture ?
P.E.K : J’ai une approche modern classique, je n’ai pas encore
passé le cap du déconstructivisme, on trouve dans le classique moderne
suffisamment de possibilités pour s’exprimer et pour laisser parler
la créativité que je souhaite pour l’instant m’en tenir
à cette tendance. F.L : Comment a évolué
l’architecture au cours des dernières années ou décennies
au Liban ?
P.E.K : Le Liban a toujours été très influencé
par ce qui se fait ailleurs, mais en architecture il est resté un peu plus
prudent. Avec un petit décalage dans le temps cependant par rapport à
ce qui se fait dans le monde, donc on voit ici des choses qui émergent
s’inspirant des nouvelles idées et des nouvelles tendances.
F.L : Votre opinion sur le nouveau Centre Ville…
P.E.K : C’est une opération immobilière réussie
même si j’ai des réserves sur le plan social. Mais il est certain
qu’aujourd’hui tout est propre, reconstruit assez fidèlement
par rapport à l’ancien. Cela plaît beaucoup aux Libanais ainsi
qu’aux visiteurs étrangers qui trouvent que le centre ville, le coeur
de Beyrouth qui était un peu dégradé puis détruit
par la guerre est redevenu le centre du Liban.
Maintenant sur le plan financier c’est un autre problème.
Sur le plan esthétique il n’y a pas eu beaucoup d’innovations
dans le centre ville car il y a des règlements relativement stricts, qui
imposent la pierre et le respect de l’architecture passée pour garder
au centre ville le cachet de l’ancien. C’est ce qui fait que les architectes
n’ont pas laissé libre cours à leur idées.
F.L : Et au niveau de vos réserves sur l’aspect social ?
P.E.K : Eh bien si c’est une réussite pour les raisons
que j’évoquais juste avant, au plan social il me semble que le centre
ville est un endroit uniquement fréquenté surtout par les nantis
et qu’ il n’y a pas ce mélange social qui serait souhaitable.
Ceci dit, cela est vrai des autres capitales du monde et la place de la Bastille
n’est pas fréquentée par les mêmes catégories
de population que la place Vendôme, même si le brassage social y est
plus important.
A Beyrouth aujourd’hui, le centre ville rejette à la périphérie
les couches sociales les moins favorisées. F.L : Y a t’il
un savoir faire architectural particulier et propre au Liban ou aux Libanais ?
P.E.K : Il est assez étonnant de constater qu’il y a effectivement
un savoir-faire propre au Liban qui est né après la seconde guerre
mondiale. Ce savoir-faire s’est diffusé à travers le monde
au gré du déplacement des Libanais eux mêmes. Ainsi certains
de nos ressortissants vivant aux Etats Unis ont cherché à reproduire
ou à retrouver le style architectural Libanais pour leur demeure.
Ils avaient certaines habitudes de vie qu’ils ont cherché à
conserver en dehors de leur pays d’origine. On peut donc penser que c’étaient
donc de bonnes habitudes !!
Et puis bien sûr ce savoir-faire est très apprécié
dans les pays arabes. F.L : Et qu’est ce qui caractérise
ce savoir-faire ?
P.E.K : Eh bien il est bien sûr empreint du mode de vie qui nous
est propre. Nous aimons recevoir et même bien recevoir, passer du temps
avec notre famille ou nos amis, les intérieurs sont donc soignés,
mais il y a aussi le facteur climatique qui joue beaucoup. Les terrasses, la proportion
entre espace intérieur et extérieur et surtout la large place consacrée
aux espaces extérieurs caractérisent ce style. F.L
: Qui sont vos clients ?
P.E.K : En fait nous avons des clients pour tous types de réalisations,
du chalet à l'immeuble de bureaux en passant par les hôpitaux ou
les centres commerciaux. Le marché libanais est trop petit pour que l'on
se spécialise dans un type de projet bien particulier, de plus cela m’ennuierait
beaucoup d’avoir à ne travailler que sur un type de projets.
C’est un peu pour cette raison que nous prenons également des projets
à ‘étranger, en Arabie, à Oman…
Aujourd’hui nous sommes en train de construire un centre résidentiel
au Nigeria et ce sont par des connexions libanaises que nous obtenons ce type
de contrats. Mais globalement nous travaillons à la demande, on nous présente
un projet qui peut-être une prison ou une église (rires) et nous
nous penchons alors sur ce qu’il nous semble bon d’apporter en terme
d’expertise à un tel projet. F.L : Quelle part de
votre activité est réalisée à l’étranger
?
P.E.K : 20 ou 25% des projets sont destinés à l’étranger,
maintenant les projets réalisés représentent 10 % de l’ensemble
des projets du cabinet. F.L : Comment approchez vous les clients
étrangers ?
P.E.K : Le Liban est connu pour avoir une certaine expérience
en architecture et on sait le pouvoir d’attraction dont Beyrouth dispose
auprès des pays Arabes. Nous jouissons donc d’une image de créativité
et de professionnalisme qui amène les gens à se tourner naturellement
vers nous lorsqu’ils ont une idée de réalisation qui requiert
un certain niveau d’expertise. F.L : Je voudrais avoir
votre opinion sur la situation régionale actuelle…
P.E.K : Nous sommes, à mon sens, à la veille de grands
bouleversements. Il est difficile de savoir si nous nous dirigeons vers une période
douloureuse pour les peuples de la région ou si au contraire ce qui se
prépare peut être source d’assainissement de la situation,
pour l’instant nous craignons que l’impact ne soit négatif
et que cela stoppe les investissements. Aujourd’hui on pense beaucoup plus
à détruire qu’à construire.
Nous avons travaillé sur quelques grands projets qui sont gelés
dans l’attente de voir la situation évoluer. On dit que quand le
bâtiment va tout va mais quand la guerre va rien ne va plus !!
Beyrouth le 13 mars 2003
Yann Rotil |
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